Pierre Guichard s’est éteint mardi 6 avril 2021 à Lyon à l’âge de 81 ans. Il laisse derrière lui une œuvre considérable et une empreinte indélébile dans l’historiographie de l’Occident musulman médiéval. Ses anciens étudiants, ses amis et ses collègues qui l’ont côtoyé à l’Université Lyon 2 et tout particulièrement au sein du CIHAM, garderont à jamais le souvenir impérissable de ses cours passionnés et érudits, de sa disponibilité et de sa bienveillance.
Agrégé d’histoire, ancien membre de la Casa de Velázquez (1967-68), maître de conférences puis professeur d’histoire médiévale (1988-2004) à l’Université Lyon 2, il a dirigé le CIHAM entre 1994 et 2003. Il a été élu membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres en mars 1998.
Pierre Guichard a reçu l’essentiel de sa formation à l’Université de Lyon. Sa rencontre avec Roger Arnaldez, alors professeur à Lyon (1956-1968) a été déterminante dans sa vocation andalouse. Il prépare sous sa direction sa thèse de troisième cycle, portant sur Les tribus arabes dans l’Espagne musulmane, soutenue en 1972. Publiée d’abord en espagnol en 1976 sous le titre Al-Andalus. Estructura antropológica de una sociedad islámica en Occidente, puis en français l’année suivante (Structures sociales « orientales » et « occidentales » dans l’Espagne musulmane, Paris-La Haye, Mouton, 1977), sa thèse a constitué un tournant majeur dans l’historiographie d’al-Andalus. Son écho dans les milieux académiques dans une Espagne qui commençait à peine sa sortie des années noires du franquisme fut considérable. Dans le sillage de ce travail fondateur, Pierre Guichard a continué ses recherches sur la région de Valence, exploitant archives chrétiennes et sources arabes, et explorant avec André Bazzana, les différentes potentialités qu’offre le registre matériel des sociétés d’al-Andalus. Ses recherches aboutiront à des dizaines de publications, dont deux contributions majeures : sa thèse d’État, soutenue en 1987 sous la direction de Philippe Wolf à Toulouse et publiée sous le titre Les musulmans de Valence et la Reconquête (Damas, IFEAD, 1990-91) et avec André Bazzana et Patrice Cressier, Les Châteaux ruraux d’al-Andalus. Histoire et archéologie des Ḥuṣūn du Sud-Est de l’Espagne (Madrid, Casa de Velázquez, 1988). Son Al-Andalus 711-1492 Histoire de l’Espagne musulmane (Paris, Hachette, 2000 pour la première édition), publié dans une version augmentée intitulée De la conquête arabe à la Reconquête : grandeur et fragilité d’al-Andalus (Grenade, El Legado Andalusi, 2002) reste aujourd’hui comme l’une des meilleures synthèses de l’histoire d’al-Andalus. Même après sa retraite en 2004, Pierre Guichard a continué une intense activité scientifique, et a publié notamment, avec Bruna Soravia, Les royaumes de Taifas. Apogée culturel et déclin politique des émirats andalous du XIe siècle, (Paris, Geuthner, 2007 pour l’édition française), et dirigé, avec Thierry Bianquis et Mathieu Tillier, Les débuts du monde musulman VIIe-Xe siècle. De Muhammad aux dynasties autonomes (Paris, PUF, 2012). Son dernier livre, Par la main des femmes. La poterie modelée du Maghreb, (Lyon, MOM-Musée des Confluences, 2015) est le fruit d’une décennie de recherches et d’enquêtes dans les collections privées et publiques autour d’un art oublié, dont il était profondément passionné.
Historien d’al-Andalus, Pierre Guichard était aussi un fin connaisseur du Maghreb. Issu d’une génération qui a vécu une certaine rupture académique entre l’Université française et la recherche historique au Maghreb, il n’a cessé d’œuvrer pour la mise en place de partenariats et de collaborations avec les historiens et les institutions universitaires du Maghreb. En tant que directeur de nombreuses thèses, il a formé toute une génération historiens, aujourd’hui en exercice au Maghreb et en Europe.
Toutes nos condoléances à son épouse Marie-Thérèse, à ses trois enfants et à l’ensemble de sa famille.
Yassir Benhima (Université Sorbonne Nouvelle, CIHAM)